Sans surprise, Vladimir Poutine a été triomphalement réélu, dimanche, pour un quatrième mandat à la tête de la Russie, au terme d’une élection aux allures de plébiscite, dénoncée comme émaillée de fraudes par l’opposition.
De notre envoyé spécial. Les Izvestia, le grand quotidien ayant survécu, comme l’agence Tass, à l’ère soviétique, organise, en ce jour d’élection, une réception qui ressemble à une kermesse avec buffets et banquettes. Une publicité satirique montre une vidéo de trois « bombasses » en robes moulantes qui se maquillent outrageusement en se mirant dans le reflet que leur renvoient leurs portables. « Si vous voulez leur ressembler, n’allez pas voter », ironise la pub. Sur la scène, des citoyens s’affrontent, une jeune fille en rouge très énervée dénonce un système qui ne donne pas sa chance aux jeunes, sinon à ceux de la Nomenklatura. Face à elle, son contradicteur plaide qu’ayant été absent pendant plusieurs années, le pays a changé et lui paraît plus libre.
Au milieu de la salle, un ring où s’affrontent, sous l’oeil des caméras de télévision, les candidats qui se présentent à tour de rôle dans cette enceinte, hormis Poutine, intouchable. « C’est comme si vous aviez le choix entre une bouteille de champagne et des croissants », analyse curieusement Arena August, consultante politique.
Cirque plutôt qu’alternative
Mais que pense-t-elle vraiment des petits candidats qui n’atteignent pas 10 % ? « Sobtchak est intéressante car elle a un nom (c’est la fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg) et elle a construit son image sur la nouveauté. Mais elle fait tout à l’ancienne en rendant visite aux petites gens alors qu’elle veut séduire les jeunes », confie Arena.
Car, pour les Russes, qui singent les campagnes à l’américaine, la modernité et l’espace de liberté demeurent internet. Pour avoir provoqué Jirinovski, vieil apparatchik de la vie politique parfois considéré comme un bouffon, Sobtchak s’est effondrée en larmes, lors d’un débat télévisé. Jirinovski fait, depuis vingt-cinq ans, à la fois figure de sage et d’excentrique. Mais on est dans le cirque avec des phrases chocs plutôt que dans une alternative à Poutine qui craint le vote contestataire des villes et l’apathie des campagnes quelque peu résignées.
Humour et dérision
Pour y remédier, Poutine a recours à une méthode éprouvée : la stratégie de la tension avec l’Occident pour souder contre l’ennemi extérieur ses compatriotes. Et ces derniers d’en rire avec des slogans imprimés sur les tee-shirts, du genre « Khrouchtchev a vendu la Crimée, Poutine nous l’a rendue. » Et l’affrontement en cours avec les Britanniques a vu se multiplier les blagues sur internet. Exemples : des journalistes munis d’un masque à gaz se pressent derrière une porte pour interviewer le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson.
« Autant rire d’être pris pour des crétins sanguinaires, car quel intérêt de tuer un agent double qui a déjà tout donné, qui est grillé des deux côtés ? », s’amuse Lara. Député à la Douma (Assemblée), Anatoli Kharpov, champion du monde d’échecs en 1975, croisé dans un bureau de vote, renchérit malicieusement : « Ça ne va pas s’arrêter. La Grande-Bretagne a toujours été un problème pour la Russie… et la France ! »
En attendant Macron
Rejetant la responsabilité sur les Britanniques qui feraient diversion pour échapper au sujet angoissant du Brexit, les Russes comptent néanmoins sur la visite du président Macron, fin mai, pour apaiser l’atmosphère. À l’Élysée, on est cependant solidaire de Londres : « Il y a une série de sujets sur lesquels ils nous testent. D’où l’importance de mettre des limites ! », dit-on.
En attendant, Kharpov, invité par Réza Salami, vice-président en charge de l’urbanisme et de l’habitat de Brest Métropole, lui-même féru d’échecs, sera, début juin, dans le port du Ponant pour la remise du prix au vainqueur du championnat de France. Entre l’Occident et la Russie, la partie d’échecs continue !
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